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Être au genre indifférent

🌀 Petite note pour les lecteur·ices : Le genre est un ensemble de rôles et d’attentes sociales, différent du sexe (lié au corps) et de l’expression de genre (comment on se présente au monde). Dans ce texte, je pars du principe que tu connais les notions de genre, de sexe et d’expression de genre. Si ce n’est pas encore très clair, je t’invite à jeter un œil à cette page qui explique tout ça très bien.

J’ai commencé à m’interroger sur mon identité de genre. Ce n’est pas évident à écrire, alors soyez indulgent·es si c’est un peu flou. J’espère que ce témoignage en français pourra aider d'autres personnes à mettre des mots sur leur parcours.

Assigné homme à la naissance

Je suis d'abord "homme", et j'ai été éduqué comme tel. Jusqu'ici le genre était devenu presque invisible et indivisible de mon identité. Je n’ai jamais eu besoin de forcer pour porter mon genre :

En bref, au niveau du corps, tout m'identifie par défaut avec le genre masculin, sans que j’aie à y penser. À l’inverse, l’expression féminine demande souvent plus de travail, mais pour être perçu·e comme un homme il y a moins d'investissement sur l'expression de genre (il me semble).

Or le genre, ne se trouve pas dans le corps : ce sont surtout des codes, des attentes et des comportements sociaux. Et là, j’ai toujours eu du mal à suivre. Je n'ai jamais trouvé comme exprimer de la virilité. Je n'ai jamais vraiment su jouer le jeu des autres garçons : le foot, les voitures, les bastons, l’humour de mec. Je m’y suis adapté, mais je n’ai jamais habité ce rôle. D'ailleurs, ce détachement par rapport à la masculinité m'a permis de devenir Vegan sans crainte de perdre ma virilité (à laquelle je ne tiens pas particulièrement).

Un conflit intérieur

Donc je ne me jamais épanoui dans ce genre. Et ce décalage avec le masculin n'a pas été sans inconfort : je suis souvent mis à l’écart dans les groupes d’hommes, et je me sens plus à l’aise avec les femmes, même si elles ne me considèrent pas comme une des leurs. Je ne me sens pas non plus être une femme. Ça a été un vrai problème pour moi, de ne pas vraiment avoir de groupe auquel m'identifier.

Tout ça a formé une impression latente en moi : cette impression qu’il fallait que je me transforme constamment pour aller mieux, pour m’améliorer. Comme s'il y avait quelque chose de non-fini, d'imparfait chez moi à corriger. Comme si je n'étais pas assez, pas comme il faut.

J’ai remarqué que de plus en plus souvent, quand quelqu’un me rappelle que je suis un mec, ça me surprend... comme si je l’avais oublié. On me colle une étiquette que je n’avais pas intériorisé. Je vis ma vie, je fais mes trucs, et puis tout à coup, on me renvoie “homme” dans une phrase, dans un message, dans une situation sociale… et ça fait un petit bug intérieur. Cette surprise me fait comprendre que ce n’est pas une identité à laquelle je me sens profondément attaché. C’est une donnée administrative mais pas quelque chose qui m’habite.

En avançant vers la trentaine je suis de plus en plus attentif à ce qui crée de l'inconfort dans ma vie, et j'essaie de me séparer de ce qui ne m'aide pas. Et donc naturellement, en comprenant ce qu’est le genre, j’ai réalisé que plus je comprenais ce que veut dire “être un homme”, moins je m’y reconnaissais, et moins j'avais envie de me forcer pour en rester un.

Et puis j'ai eu un déclic

Donc je récapitule : je ne me sens pas vraiment homme, et pas femme non plus. Je ne ressens pas de rejet de mon corps, je n’ai pas de dysphorie de genre. J’aime mes poils, ma voix, mon allure telle qu’elle est. Je ne ressens pas le besoin de transitionner, ni de me féminiser. Du coup, je ne me reconnais ni dans une trajectoire trans, ni dans une identité bi-genre ou androgyne. J'ai parlé de tout ça à un ami non-binaire. Et il m'a dit "t'es peut-être agenre ?". Et ça a été un vrai déclic.

C’est comme si j’étais resté en marge. Comme si la question du genre n’avait jamais vraiment eu d’emprise sur moi. Le mot “agenre” (sans identité de genre) n'est pas une étiquette de plus, mais une tentative de description de ce que j'ai toujours été. Pas homme cisgenre, pas trans, pas bi-genre, juste… pas concerné. Un peu différent et un peu indifférent.

L’inconfort que j'ai décrit plus tôt s’est apaisé depuis que je m’identifie aujourd'hui vraiment comme une personne agenre. Quand je regarde un chien, un champignon, un aigle ou un arbre, je ne me demande pas quel est leur genre. Ça n’a aucun sens dans leur monde, ni dans le mien. Le genre est une construction sociale, un outil humain pour organiser les rôles, les apparences, les attentes. Et je n'ai plus besoin de ça. J'ai l’intuition que je ne suis pas obligé d’entrer dans ce système de genre pour être moi. En fait j’ai toujours eu cette sensation mais aujourd'hui je l’assume à 100%.

Tout change mais rien ne change

Le mot “Agenre” a été un apaisement. Il a mis de l’ordre dans ce que je ressentais sans vraiment pouvoir nommer jusqu'ici. Et je n'ai rien à changer sur ce que je suis, et c'est un mot qui me permet d'être fidèle à ce que j’ai toujours été. Pour moi, qui suis hétéro et AMAB1, m’identifier comme agenre ne change pas grand-chose à l'extérieur : je vivais déjà mon genre avec légèreté, dans ce rôle par défaut qu’est le masculin. C’est pour ça que le pronom 'il' ne m’a jamais dérangé. Mais cette légèreté est aussi une forme d’invisibilité. Dans notre culture, une AFAB1 en vêtements neutres est perçue comme androgyne. Un AMAB1 dans la même tenue est juste vu comme un mec. Ça permet de passer inaperçu, mais ça rend aussi notre vécu invisible.

Alors, qu’est-ce que ça change concrètement ? Pas grand-chose, et en même temps tout. Je ne change pas de prénom, je ne demande pas qu’on me genre autrement (même si tous les pronoms me vont), je n’ai pas de transition médicale ou sociale de prévues. Mais quelque chose de fondamental a bougé à l’intérieur de moi. Ce mot, agenre, m’offre une manière de me reconnaître sans devoir me conformer. Il m’autorise à exister tel que je suis, sans devoir jouer un rôle. Il ne me donne pas une nouvelle étiquette, mais une porte de sortie pour m'échapper de la case dans laquelle on avait tenté de me mettre. Être au genre indifférent, ça ne change peut-être rien pour vous, mais pour moi, ça clarifie beaucoup de choses !

  1. AMAB = « assigné garçon à la naissance » AFAB = « assignée fille à la naissance »

#agender #gender #queer